Méthodes expérimentales de la thermodynamique des matériaux à hautes températures

P. Benigni, J. Rogez

IM2NP, UMR CNRS 7334, Aix-Marseille Université, Univ. de Toulon

Les méthodes expérimentales de mesure sont très nombreuses et de principes variés, la littérature est très abondante. On distinguera les méthodes de détermination des grandeurs liées à une phase considérée individuellement de celles liées aux équilibres entre phases.

1. Mesures des grandeurs relatives à une phase individuelle

Une revue exhaustive des méthodes expérimentales pour la détermination des fonctions thermodynamiques d’une phase est présentée dans l’ouvrage classique de (Kubaschewski, Alcock, and Spencer 1993) et de manière plus concise dans l’article (Komarek 1992). Le chapitre 10 du livre de (Stolen, Svein, Grande, Tor, Allan 2004) donne aussi un panorama très complet de ces méthodes et constitue une excellente introduction à la thermodynamique expérimentale.
Les méthodes expérimentales peuvent être classées en deux grands types : les méthodes calorimétriques qui conduisent aux fonctions thermiques, aux enthalpies de formation ou de mélange et à leurs dérivées et les méthodes d’équilibres hétérogènes qui conduisent aux potentiels chimiques. Ces méthodes sont généralement conduites en mode isotherme. Par des analyses en 2ème ou 3ème loi, les méthodes d’équilibres hétérogènes permettent aussi, quoique de manière plus indirecte que la calorimétrie, de déterminer des enthalpies de réaction.

1.1. Grandeurs intégrales

Fonctions thermiques Grandeurs chimiques de formation ou de mélange
Fonction Méthode Fonction Méthode
\Delta H_{T_{1}}^{T_{2}} Calorimétrie isotherme de chute directe ou inverse \Delta _{f}H  ou  \Delta_{mix}H Calorimétrie de réaction directe

Calorimétrie de dissolution

Coefficient de température d’équilibres hétérogènes (2ème loi)

3ème loi connaissant l’entropie absolue de tous les réactants et produits de la réaction

 \Delta_{trans}H Calorimétrie isotherme de chute

Calorimétrie adiabatique

Analyse Calorimétrique Différentielle (DSC)

 \Delta_{f}G ou \Delta_{mix}G Constante d’équilibre d’un équilibre hétérogène: \Delta G= RT\times \ln K
C_{P} Dérivée de  par rapport à la température

Calorimétrie adiabatique

Analyse Calorimétrique Différentielle (DSC)

\Delta _{f}S ou \Delta _{mix}S \Delta S=\frac{\Delta H-\Delta G}{T}
\Delta S _{T_{1}}^{T_{2}} \int_{T_{1}}^{T_{2}}\frac{C_{P}}{T}dT+\sum \frac{\Delta_{trans}H}{T_{trans}}

1.2. Grandeurs partielles

Fonction Méthode
\mu _{i}=RT\ln a _{i}=\Delta \overline{G}_{i} Équilibre entre une phase gazeuse et une phase condensée : effusion de Knudsen
Équilibre électrochimique : méthode FEM
Équilibre entre la phase étudiée et une phase dont on connait les propriétés
\Delta \overline{H} _{i} Calorimétrie de Réaction Directe
Calorimétrie de Dissolution

2. Mesures des équilibres entre phases

Il s’agit ici de déterminer, les points, les lignes, les surfaces ou hyper-surfaces délimitant les domaines de stabilité des différentes phases dans les diagrammes de phases. Si l’on fait abstraction des études qui s’intéressent à l’effet de la pression, les données d’équilibres entre phases sont obtenues soit en balayage de température, soit en mode isotherme. Un ouvrage récent incontournable dans le domaine est le livre de (Zhao 2007).

2.1. Méthodes expérimentales en balayage de température

Les limites des domaines de stabilité des phases sont détectées par le suivi du changement d’une grandeur physique en fonction du temps au cours du chauffage ou du refroidissement d’un alliage. Le balayage en température est souvent réalisé à vitesse constante. Méthodes dynamiques par essence, elles sont sensibles à la cinétique avec laquelle le système approche l’équilibre, l’équilibre thermodynamique n’est obtenu en théorie qu’à vitesse de changement de température nulle.

Les méthodes se distinguent par la grandeur physique mesurée :

  • température d’un échantillon : Analyse Thermique Simple (ATS),
  • différence de température entre un échantillon et une référence : Analyse Thermique Différentielle (ATD),
  • différence de flux de chaleur entre un échantillon et une référence : Differential Scanning Calorimetry (DSC),
  • longueur d’un échantillon : thermo-dilatométrie,
  • masse d’un échantillon : thermo-gravimétrie,
  • propriété électrique comme la résistivité : analyse thermique diélectrique,
  • propriété magnétique : thermo-magnétométrie,
  • DRX hautes températures : thermo-diffractométrie,

2.2. Méthodes expérimentales isothermes

Elles sont basées sur l’étude d’échantillons complètement équilibrés ou en équilibre local aux interfaces entre phases.

Les méthodes d’étude d’alliages équilibrés consistent à élaborer des séries d’alliages recuits puis trempés. Les études sont menées en fonction de la composition, les échantillons peuvent aussi être trempés depuis différentes températures. Les échantillons sont ensuite analysés :

  • par DRX, suivi éventuellement d’un affinement Rietveld, pour la détermination structurale, l’identification des phases, la détermination des paramètres de maille, des fractions de phases, des taux d’occupations de sites…,
  • par microscopie électronique (SEM/EDS) ou microsonde (EPMA/WDS) pour la détermination des compositions des phases en équilibre dans les échantillons multiphasés (ex. conodes dans les biphasés).

Les méthodes de couples ou multiples de diffusion basés sur l’hypothèse d’équilibre local aux interfaces. L’évolution de la composition chimique est mesurée en fonction de la position, généralement par EPMA/WDS, et les gradients de composition sont extrapolés au niveau des interfaces.

2.3. Quelques critères pour une détermination expérimentale correcte des équilibres

Il est toujours intéressant de caractériser les échantillons pour s’assurer que la détermination des équilibres est représentative du système d’intérêt en termes de :

  • composition chimique : de faibles quantités d’impuretés suffisent dans certains cas à modifier les équilibres,
  • structure,
  • d’établissement et de maintien de l’équilibre lors des mesures.

Des données à haute température, même si elles sont moins précises, sont souvent plus susceptibles d’être représentatives de l’équilibre que des données basses températures même si celles-ci sont obtenues avec une meilleure précision. Pour les mesures sur échantillons trempés, se pose le problème de la transformation éventuelle des échantillons lors des trempes.

Dans les systèmes métalliques, la diffusion lente dans les solutions solides de substitution est un obstacle à l’équilibrage des échantillons. Dans les systèmes d’oxydes, c’est souvent la diffusion lente des cations qui empêche l’atteinte de l’équilibre. Ainsi, dans ZrO2-Y2O3 les équilibres ne peuvent pas être établis à T < 1500 K par des traitements thermiques conventionnels, de plus, il existe dans ce système des transformations complexes produisant diverses phases métastables suivant l’histoire thermique et la microstructure des échantillons.

Enfin, il est évidemment nécessaire de mettre en œuvre une technique expérimentale possédant une résolution suffisante :

  • une microstructure de taille caractéristique < 1 µm sera difficilement mise en évidence par MEB conventionnel et le MET pourra être préféré,
  • en analyse thermique, deux paliers invariants séparés de quelques degrés pourront être confondus si une vitesse de changement de température trop élevée est appliquée.

3. Aperçu des méthodes calorimétriques et d’analyse thermique

Les méthodes calorimétriques sont basées sur la mesure directe ou indirecte de la quantité de chaleur développée ou absorbée par l’échantillon sous l’effet d’un changement de température, d’une transition structurale ou encore d’une réaction chimique ou d’une combinaison de ces phénomènes. De nombreuses classifications des types de calorimètres ont été proposées dans la littérature. Celle de (Hemminger and Höhne 1984) est basée sur le principe de mesure, sur le mode opératoire et sur le principe de construction du calorimètre. A haute température les capteurs les plus utilisés sont les couples thermoélectriques pour la mesure de température et les couples différentiels montés en série dans des piles thermoélectriques, pour la mesure de flux de chaleur.

La calorimétrie de réaction est une méthode directe applicable lorsque la réaction étudiée peut être maîtrisée correctement dans le calorimètre. Son champ d’application est néanmoins restreint aux systèmes chimiques présentant une forte réactivité. Bien que plus indirecte, la calorimétrie de dissolution dans un solvant convenablement choisi est d’application plus universelle. Les solvants utilisés peuvent être de diverses natures (métaux, oxydes, sels, solutions aqueuses acides ou basiques…). Les revues de (Colinet and Pasturel 1994) et (Navrotsky 1977) (Navrotsky 1997) (Navrotsky 2014) détaillent les applications de cette méthode pour les solvants métalliques et les solvants oxydes.

Les méthodes expérimentales en balayage de température, de l’analyse thermique simple ou différentielle à la calorimétrie différentielle en passant par l’analyse thermique différentielle quantitative, offrent une grande variété de montages expérimentaux. Ils se font cependant d’autant plus rares que les températures de travail sont plus élevées. Ces montages se distinguent par leurs capteurs (simple thermocouple, multi-thermocouples voire fluxmètre, pyromètre…) et par la qualité de l’environnement thermique des cellules de mesure dans les montages. Les livres de (Rollet and Bouaziz 1972a) (Rollet and Bouaziz 1972b), (Höhne, Hemminger, and Flammersheim 2003), et (Claudy 2005), constituent des références dans le domaine.

4. Aperçu des méthodes expérimentales d’équilibres hétérogènes

Les méthodes mettant en jeu des équilibres hétérogènes comprennent celles où une Force Electro-Motrice est mesurée et celles où une (des) pression(s) partielle(s) est (sont) mesurées.

Une présentation synthétique des méthodes FEM a été publiée par (Ipser, Mikula, and Katayama 2010).

Parmi les diverses méthodes mettant en jeu les pressions de vapeur, la spectrométrie de masse couplée à des cellules d’effusion de Knudsen est celle qui présente le plus de possibilités. On trouvera dans les articles de (Chatillon et al. 1976) et (Drowart et al. 2005) une présentation détaillée des nombreux raffinements de cette méthode d’analyse. Des vapeurs complexes peuvent être analysées dans de larges gammes de pressions partielles (de 10-12 jusque 10-4 atm) et de température (jusque 2500-3000 K). Des revues exhaustives des systèmes étudiées par cette méthode sont publiées périodiquement (Miller and Armatys 2013) (Stolyarova 2019).

Bibliographie

  • Chatillon, C., C. Senillou, M. Allibert, and A. Pattoret. 1976. “High Temperature Thermodynamical Studies by a Mass Spectrometry Device for Measurements Using Multiple Effusion Cells.” Review of Scientific Instruments 47 (3): 334–40. http://ieeexplore.ieee.org/xpls/abs_all.jsp?arnumber=4981003.
  • Claudy, Pierre. 2005. Analyse Calorimétrique Différentielle – Théorie et Applications de La DSC. Lavoisier.
  • Colinet, C., and Alain Pasturel. 1994. “High-Temperature Solution Calorimetry.” In Solution Calorimetry – Experimental Thermodynamics Volume IV, edited by K.N. Marsch and P.A.G. O’Hare, 1st ed., 331. Blackwell scientific Publications.
  • Drowart, J., C. Chatillon, J. Hastie, and D. Bonnell. 2005. “High-Temperature Mass Spectrometry: Instrumental Techniques, Ionization Cross-Sections, Pressure Measurements, and Thermodynamic Data (IUPAC Technical Report).” Pure and Applied Chemistry 77 (4): 683–737.
  • Hemminger, W.F., and G.W.H. Höhne. 1984. Calorimetry. Fundamentals and Practice. Weinheim; Deerfield beach, Florida; Basel: Verlag Chemie.
  • Höhne, G.W.H., W.F. Hemminger, and H.-J. Flammersheim. 2003. Differential Scanning Calorimetry. 2nd ed. Springer.
  • Ipser, Herbert, Adolf Mikula, and Iwao Katayama. 2010. “Overview: The Emf Method as a Source of Experimental Thermodynamic Data.” Calphad 34 (3): 271–78. https://doi.org/10.1016/j.calphad.2010.05.001.
  • Komarek, K. L. 1992. “Experimental Techniques in High Temperature Thermodynamics.” Pure and Applied Chemistry 64 (1): 93–102. http://cat.inist.fr/?aModele=afficheN&cpsidt=5137118.
  • Kubaschewski, Oswald, C. B. Alcock, and P. J. Spencer. 1993. Materials Thermochemistry. 6th ed. Pergamon Press.
  • Miller, Miroslaw, and Kamila Armatys. 2013. “Twenty Years of Knudsen Effusion Mass Spectrometry: Studies Performed in the Period 1990-2010.” The Open Thermodynamics Journal 7 (1): 2–9. https://doi.org/10.2174/1874396X01307010002.
  • Navrotsky, Alexandra. 1977. “Progress and New Directions in High Temperature Calorimetry.” Physics and Chemistry of Minerals 2 (1–2): 89–104.
  • Navrotsky, Alexandra. 1997. “Progress and New Directions in High Temperature Calorimetry Revisited.” Physics and Chemistry of Minerals 24 (3): 222–41. https://doi.org/10.1007/s002690050035.
  • Navrotsky, Alexandra. 2014. “Progress and New Directions in Calorimetry: A 2014 Perspective.” Edited by D. J. Green. Journal of the American Ceramic Society 97 (11): 3349–59. https://doi.org/10.1111/jace.13278.
  • Rollet, Antoine-Pierre, and R. Bouaziz. 1972a. L’analyse Thermique, Tome 1 – Les Changements de Phase. Paris: Gauthier-Villars.
  • Rollet, Antoine-Pierre, and R. Bouaziz. 1972b. L’analyse Thermique, Tome 2 – L’examen Des Processus Chimiques. Paris.
  • Stolen, Svein, Grande, Tor, Allan, Neil. 2004. Chemical Thermodynamics of Materials. Science. Wiley. https://doi.org/10.1002/0470092688.
  • Stolyarova, V.L. 2019. “Review KEMS 2012 till 2017.” Calphad 64 (December 2018): 258–66. https://doi.org/10.1016/j.calphad.2018.12.013.
  • Zhao, J. -C., ed. 2007. Method for Phase Diagrams Determination. 1st Ed. Elsevier.

Et bien entendu, vous trouverez d’autres sources d’informations dans notre section “Ouvrages de référence“.